N'avez-vous jamais prêté attention à cet étrange personnage barbu, tenant trompette, qui se trouve au-dessus de la nef, au pied de l'orgue de la cathédrale de Strasbourg. Cet automate mérite pourtant mieux qu'un regard : elle évoque tout un pan de la vie religieuse de Strasbourg, un temps joyeux où le "Rohraff" (c'est le nom du personnage qui se tenait derrière l'automate) exerçait sur la foule son attirance.
Jadis, au Moyen-Age, les festivités de la Pentecôte en la cathédrale de Strasbourg étaient menées avec un panache tout particulier. Les gens de la campagne affluaient de partout, joyeux, impatients, portant les croix des processions, les cierges, les bannières, les châsses où reposaient les reliques les plus précieuses. C'est à cette occasion que se cachait derrière l'orgue un compère audacieux et impertinent, qui faisait parler le "Rohraff". On venait, avouons-le, l'entendre lui bien plus que le prédicateur. Car le "Rohraff", personnage inconnu caché derrière la statue, se permettait de rire des recommandations du sermon, répondait du tac au tac et parfois même révélait des comportements qui ne faisaient pas honneur au clergé. Le "Rohraff" évoquait une voix de la conscience et s'exprimait haut et fort au cours des messes, des vêpres et des complies. Il vilipendait le clergé mais aussi ces pieux paysans qui oubliaient le plus souvent les devoirs élémentaires du chrétien, alors même qu'ils couraient à l'église faire dévotion.
Parfois, le "Rohraff" allait encore plus loin, entonnant quelques chansons paillardes, lançant des jurons. En bas dans la nef, la foule des croyants assemblés se signait, comme si le diable était soudain parmi ses rangs !
Il advint que la foule préféra se tourner vers un autre personnage de la cathédrale afin de lui exprimer son admiration. Désormais, on se pressait au pied de l'horloge astronomique, pour voir le coq battre des ailes et pousser son cocorico ! Le "Rohraff" avait beau se démener, être plus percutant que jamais ! Les croyants indifférents, se massaient devant le coq ! Une dernière fois, le "Rohraff" leur rappela ses prestations passées, les heures joyeuses qu'il leur avait procurées… Rien n'y fit. Le coq enfonça même le glaive, rappelant à l'automate que la foule était libre d'aller où elle voulait et qu'elle préférait les merveilles de l'horloge que les blagues désuètes d'un vieux radoteur.
Le "Rohraff" et le coq finirent par se détester, par s'injurier et demandèrent à la foule d'arbitrer le conflit. Mais voilà, personne n'osa se prononcer. Les différents conseils de la ville furent sollicités pour donner leur avis mais ils se déclarèrent incompétents.
Finalement, personne ne se prononça et depuis, le "Rohraff" et le coq de l'horloge campent sur leurs positions. Chacun se dit le meilleur mais il semblerait que le coq ait fini par gagner car il bat toujours des ailes et pousse son cocorico, alors que le "Rohraff" est devenu silencieux. Mieux vaut sans doute pousser un cri connu que révéler des secrets surtout les plus embarrassants.
Représentation : au centre un personnage barbu
Représentation : Au permier plan des personnes assises sur des bancs écoutent le prètre en chaire. A gauche sur un piller se tient un personnage barbu (le Rohraff)
Représentation : procession de personnes qui s'acheminent vers une église (la cathédrale de Strasbourg)
Représentation : à gauche un personnage barbu (le Rohraff); à droite un coq (de l'horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg)